mardi 8 septembre 2009

Manifeste du Club Novation Franco-Africaine

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Manifeste
du
Club Novation Franco-Africaine


constellation d’individus et de facettes libres

Tristan Tzara



Intention générale


Le Club Novation Franco-Africaine, est ouvert à toutes les femmes et à tous les hommes de bonne volonté qui souscrivent aux principes énoncés dans le Manifeste du Club Novation Franco-Africaine.

Le Club Novation Franco-Africaine, en mettant en lumière l’histoire occultée franco-africaine, en dissipant les mensonges, veut mettre en place les conditions d’une nouvelle fraternité, afin qu’une politique franco-africaine novatrice devienne enfin possible.


Principes généraux


Depuis près de cinquante ans, l’histoire franco-africaine est lue à travers un prisme déformant.

L’histoire officielle, érigée en véritable « idéologie de la Ve République », affirme que la France fut contrainte, malgré elle, de se retirer d’Afrique, sous la pression des peuples et de leurs leaders avides d’indépendance.

Or nous voyons les choses de façon sensiblement différente.

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Après la Seconde Guerre mondiale, la majorité des leaders d’Afrique subsaharienne ne réclamaient pas l’indépendance, mais l’égalité politique.

Par ce biais, Lamine Guèye, Léopold Sédar Senghor, Félix Houphouët-Boigny, Léon M’Ba et bien d’autres leaders politiques africains entendaient consolider l’ensemble franco-africain et la République française, « une et indivisible ».

Leur donner satisfaction aurait provoqué une métamorphose du peuple français. Le Parlement s’en serait trouvé fortement marqué, tout comme le gouvernement.

Une telle révolution aurait mis un terme au colonialisme. Car si les territoires ou les États africains et la France s’étaient unis dans un cadre strictement démocratique, le colonialisme aurait certainement été, de ce fait, aboli. Par le jeu de la démocratie, l’exploitation des peuples d’outre-mer n’aurait pu perdurer. Les dirigeants français – européens ou africains –, dorénavant suspendus à la sanction des urnes des citoyens d’Afrique autant qu’à celle des métropolitains, auraient été contraints de traiter l’ensemble du peuple français, y compris au sud de la Méditerranée, avec dignité. Il eût fallu en effet procéder à la redistribution équitable de l’impôt, sous la forme de tous les services publics qui contribuent au développement efficace d’une nation : école gratuite, sécurité sociale, infrastructures, etc.

Au tournant des années 1950, refusant de satisfaire la revendication d’égalité des populations et des hommes politiques africains, refusant, surtout, les conséquences impliquées par ce choix, la majorité de la classe politique métropolitaine, de droite comme de gauche, se résolut à procéder à la « décolonisation ». Selon un plan mûrement réfléchi, que le général de Gaulle se chargea d’exécuter.

C’est ainsi que la Métropole choisit de se séparer de ses anciennes colonies, en démembrant la « plus grande France », afin d’esquiver, selon les termes de l’époque, la « bougnoulisation » – comprendre le métissage de la nation et du peuple français, du Parlement et du gouvernement français. Mais aussi pour rendre possible la perpétuation du système colonialiste, que la démocratie dans la République eût interdit.

Ce choix, le général de Gaulle et ses alliés métropolitains de droite comme de gauche, encouragés voire appuyés par des puissances étrangères (notamment les États-Unis et l’Union Soviétique), l’imposèrent à des leaders politiques et des populations africaines souvent réticentes voire radicalement hostiles à l’indépendance. Car à l’époque, l’histoire avait tissé des liens profonds et intenses entre beaucoup d’Africains et la France, des bancs de l’école aux champs de bataille, comme l’a rappelé au grand public le film Indigènes de Rachid Bouchareb.


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Ayant réussi à séparer la France et l’Afrique, connaissant la force des sentiments francophiles et républicains en terre africaine, les dirigeants métropolitains, de droite comme de gauche, durent prévenir tout risque de retour à une dangereuse revendication d’unité franco-africaine dans la République et la démocratie.

C’est dans ce but que fut mise en place une idéologie complexe qui refoula tout un pan de l’histoire et de la sensibilité franco-africaine.

En Afrique comme en France, quoique diversement, tout fut mis en œuvre pour que les peuples oublient leur histoire commune et leur fraternité par delà les races, les cultures et les religions.

Les belles signares, le roi Makoko, Pierre Savorgnan de Brazza et le grand Esprit Nkoué Mbali, Faidherbe et Schœlcher, Blaise Diagne, Robert Delavignette, Gaston Monnerville, Lamine Guèye, les tirailleurs sénégalais, mais aussi Toussaint Louverture et le général Dumas… Autant de noms qui disparurent des mémoires, ou furent désormais présentés de façon partielle et partiale, au service de l’idéologie de la séparation.


* * *

La vision tronquée de l’histoire qui prédomine encore aujourd’hui entrave gravement et pollue les relations franco-africaines. Rien de sain ne peut se construire sur un mensonge, sur des non-dits, sur des sensibilités et des identités refoulées. Les crises identitaires, plus généralement les crises de système en France sont le pendant des crises politiques et sociales qui déchirent l’Afrique depuis des décennies.

C’est avec à l’esprit l’idée que les différents peuples qui composent aujourd’hui l’Afrique francophone, la France métropolitaine et de les DOM TOM, furent un jour un seul grand peuple en voie de fusion – fusion balbutiante selon les uns, commencements exemplaires selon les autres – que le Club Novation Franco-Africaine entend rappeler aux jeunes générations, en Afrique et en France, ce monde fraternel renié.

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Le Club Novation Franco-Africaine ne se bornera pas à mettre au jour les vestiges d’un monde abîmé.

Il entend aussi, fort des leçons du passé appréhendées avec un nouveau regard, trouver dans un rapprochement fraternel et constructif entre la France et l’Afrique les clefs pour le monde de demain. Ces retrouvailles sont plus que jamais d’actualité, comme l’a démontré la campagne présidentielle 2007 en France, comme le démontrent les préoccupations sécuritaires de nos autorités, comme le réclament beaucoup d’intellectuels africains. Comme de plus en plus d’hommes l’espèrent et le croient, en Afrique aussi bien qu’en France.

Car nos pays et le monde endurent un malaise, fruit des non-dits et des travestissements d’un système mondial trop sûr de lui et trop sûr de nos silences. Convaincu que l’esprit de la France « éternelle » est celui de la Liberté, de l’Egalité et de la Fraternité entre tous les hommes, de la démocratie dans la République laïque et sociale, que le monde meurt d’obscurantisme et d’égoïsme de nos jours encore, le Club Novation Franco-Africaine espère contribuer, à travers cent bouches et mille cœurs, à faire renaître une grande idée de la France, qui est nécessairement, aussi, africaine ; et, corrélativement, une grande idée de l’Afrique, qui est, nécessairement, aussi, française. Pour construire la nouvelle Afrique et la nouvelle France.


Moyens d’action

Ancré dans le réel, le Club Novation Franco-Africaine se voue aussi à l’action.

Le Club Novation Franco-Africaine s’emploiera à favoriser l’émergence et la diffusion de tout ouvrage ou de tout document audiovisuel susceptible de mettre à nu ce que nous avons appelé l’idéologie de la Ve République, afin de restituer, en particulier aux jeunes générations, l’histoire commune dans sa complexité et sa fraternité trop oubliées.

Le Club Novation Franco-Africaine mettra tout en œuvre afin qu’à l’avenir, les axes historiographiques fondamentaux exposés dans le Manifeste du Club Novation Franco-Africaine soient, le plus rapidement possible, pris en compte dans l’élaboration des programmes scolaires.

Le Club Novation Franco-Africaine s’attèlera à la préparation d’un Symposium franco-africain qui, dès la première année, visera à définir un programme au service d’une vision vertueuse et stratégique des relations franco-africaines. Ce programme sera soumis aux instances dirigeantes des pays concernés.

Le Club Novation Franco-Africaine diffusera systématiquement les résultats de ses travaux en direction des médias et des associations.

Le Club Novation Franco-Africaine ira aussi, notamment, à la rencontre des femmes et des hommes politiques français et africains, de droite comme de gauche, pour les questionner sur ce pan historique et politique qu’il met au jour : l’histoire occultée de la décolonisation franco-africaine et ses inavouables non-dits. Afin de les interroger, à cette aune, sur les propositions qui sont les leurs aujourd’hui, en matière de réflexion et d’action franco ou euro-africaines.


Objectifs

Que l’Afrique et la France renouent l’une avec l’autre, dans un rapport de fraternité, c’est-à-dire d’estime réciproque et de respect de l’autre dans son originalité et ses spécificités, sans être aveugles à leur profonde et commune identité, forgée par l’histoire et enracinée dans l’humain.

Fort de cette conviction, loin des rancœurs mais sans amnésie, conscient que tout crime, tout crime raciste en particulier, nous renvoie avant tout à nos faiblesses d’homme, le passé doit redevenir source de leçons pour mieux agir, non un prétexte pour commettre de nouveaux crimes.

Persuadé par-dessus tout, dans le sillage d’Alioune Diop, que l’homme de demain sera un homme moderne, un honnête homme debout face à tous les esclavages et à toutes les superstitions, ouvert à l’Autre et au monde, fier de ses racines sans y être empêtré, le Club Novation Franco-Africaine entend œuvrer pour qu’une nouvelle politique franco-africaine devienne réalité, dans la Liberté, l’Egalité, la Fraternité et la Laïcité. Fidèle au souvenir de la sublime Nuit du 4 août 1789, qui surgit sous les cieux de France, mais s’adressait dans la joie à tous les hommes de l’univers.


Fait à Paris, Bordeaux et Düsseldorf,
octobre 2007-septembre 2009

Jean-Marie Aimé
Mauricio Garay
Claude Garrier
Alexandre Gerbi
Soraya Karimi
Magloire Kede Onana
Samuel Mbajum
Simon Mougnol
Jacques Owono
Hilaire Sikounmo
Raphaël Tribeca
Agnès Ullrich

Contact / Information : .cnfa1
@yahoo.fr


mercredi 22 juillet 2009

APPEL A CONTRIBUTION

pour un colloque international intitulé

"Grand Symposium franco-africain 2010".



Date limite de dépôt : 08/11/2009




A l'occasion du 50e anniversaire des indépendances africaines en 2010, les éditions L'Harmattan et le Club Novation Franco-Africaine s'associent pour organiser un colloque international intitulé "Grand Symposium franco-africain 2010".

Ce colloque se décomposera en deux volets, sur le thème général :



Décolonisation franco-africaine :

enjeux pour l'Afrique et la France d'aujourd'hui




Argument et questions :

Un demi-siècle après les indépendances africaines, beaucoup le murmurent sans oser le formuler : l'Histoire franco-africaine doit faire l'objet d'un complément d'information, presque d'un supplément d'âme...

Le thème général du colloque, La décolonisation franco-africaine : enjeux pour l'Afrique et la France d'aujourd'hui, sera décliné selon deux axes complémentaires.


Premier volet :

D'abord la question historique, pour éclairer le présent :

La décolonisation franco-africaine : luttes pour l'indépendance ou égalité refusée, liberté arrachée ou divorce imposé ? Enjeux actuels.


Deuxième volet :

Ensuite la question de prospective, pour envisager le futur, dans une nécessaire articulation avec le passé :

Relations franco-africaines : quelle(s) mémoire(s), quelle(s) perspective(s), quel(s) avenir(s) ?


Contributions et échéances :

Les contributeurs sont invités à répondre à l'une et/ou l'autre de ces problématiques, dans l'esprit du thème général, en précisant le volet (1er volet et/ou 2ème volet) dans lequel leur contribution entend s'inscrire.

Les propositions de contribution seront examinées par un Comité composé de représentants des éditions L'Harmattan et du Club Novation Franco-Africaine.

Chaque contribution retenue fera l'objet :

- soit d'une intervention de son auteur dans le cadre du colloque international organisé au Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, à Paris, au cours du premier trimestre 2010 et d'une publication parmi les Actes du Colloque aux Editions L'Harmattan.

- soit d'une publication dans les Actes du Colloque, aux Editions L'Harmattan.

Les contributions, rédigées ou traduites en français, doivent être adressées avant le 8 novembre 2009 inclus, par voie électronique ou postale, aux adresses mentionnées ci-dessous.

Les contributions ne doivent pas excéder 35.000 signes (espaces compris et notes non comprises).

Vous êtes prié(e)s d'inclure, après le titre, un résumé de 3.000 signes maximum (espaces compris), et à la fin du texte, la liste de vos principales publications (ouvrages, articles) et/ou conférences, ainsi que vos coordonnées pour toute correspondance à venir.

Les auteurs des contributions retenues seront informés au plus tard le 5 décembre 2009.


Editions L'Harmattan / Club Novation Franco-Africaine
Colloque international - Grand Symposium 2010
5-7 rue de l'Ecole Polytechnique
75005 Paris

Adresse courriel :

colloquefrancoafricain@yahoo.fr

lucernaireforum@wanadoo.fr

vendredi 24 avril 2009

Samuel Mbajum : Pourquoi le site Afrique Debout



Samuel Mbajum, écrivain, membre cofondateur du Club Novation Franco-Africaine, a créé il y a quelques années le site Afrique Debout. Dans ce texte publié en 2007, et que nous reproduisons dans son intégralité avec l'aimable autorisation de l'auteur, il expliquait les raisons qui l'ont décidé à créer son propre site. Depuis, les relations franco-africaines et le nécessaire travail de mémoire ont-ils évolué dans le bon sens ? A chacun d'en juger, en attendant que l'avenir apporte des réponses concrètes et indiscutables...

Dans ce texte, Samuel Mbajum évoque également le projet auquel il s'est attelé depuis plusieurs années : une recherche approfondie sur les tirailleurs sénégalais, libérateurs trop oubliés de la France pendant la Seconde Guerre mondiale.
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Bonne lecture !



POURQUOI LE SITE www.afriquedebout.com


par

...........Samuel Mbajum



Un profond malaise gangrène actuellement, lentement mais sûrement, sans que les politiques français semblent vraiment s’en rendre compte, les relations entre la France et son ancien empire d’Afrique.

L’explosion de novembre 2005 dans certaines banlieues, qui n’ont a priori rien à voir avec cette question, constitue à cet égard une étape cruciale d’une situation qui, si on n’y prend suffisamment garde peut, à court terme, constituer un véritable champ de mines pour la France. On peut noter actuellement une montée effrénée de l’islamisme, tapi dans l’ombre, quand il n’agit pas quelques fois à visage découvert, prêt à utiliser ces « jeunes Français issus de la colonisation » (formule que je préfère à celle de « issus de l’immigration », source de tant d’écrits et autres déclarations imbéciles), qui se sentent, à tort ou à raison, rejetés par la République. Situation toujours hautement explosive s’il en est…

Dans le livre d’entretiens[1] que j’ai publié avec l’ancien Gouverneur de la France d’Outre-Mer Louis SANMARCO (95 ans) nous essayons de dégager la part de responsabilité des conditions soudaines et politiquement mal préparées dans lesquelles se sont opérées à partir de 1958 les indépendances des pays africains liés à la France. Car la responsabilité principale des malentendus actuels part de là, surtout qu’à partir de là rien ne fut fait pour expliquer à l’opinion française les conditions exactes dans lesquelles l’empire d’Afrique avait éclaté. A cet égard, la publication du livre d’Alain PEYREFITTE (« C’était de GAULLE ») aurait pu, aurait même dû (compte tenu de la densité des informations qu’il apportait sur cette période) avoir un retentissement certain et provoquer dans l’opinion un débat utile et purificateur. Or il n’en fut rien, alors que cet ouvrage faisait des révélations troublantes. Je suis convaincu que si tout avait été fait pour amener le grand public, aussi bien en France qu’en Afrique, à s’y intéresser vraiment, cela aurait probablement provoqué dans l’opinion, un débat direct et franc ; de part et d’autre on aurait pu transcender les motivations profondes qui avaient contraint ( ?) de GAULLE à pousser hors de l’empire français les pays africains au moment où, en votant « oui » au référendum constitutionnel de 1958, ils ne demandaient qu’à rester « français », en bénéficiant cependant de l’égalité des droits et des devoirs au sein de la République française une et indivisible…

J’ai eu la chance de rencontrer cet être exceptionnel qu’a été Louis SANMARCO qui, en servant l’Afrique avec ses tripes, a fait honneur à la France. Comme l’écrit à juste titre à son propos le Président Abdou DIOUF, qui nous a fait l’honneur de préfacer notre livre, « tout au long de sa carrière, il se fit le champion de la justice, de la tolérance et de la vérité envers les populations qu’il administra, pour l’honneur de la France et l’amour de l’Afrique. » Car, tout est là ! Sur le débat controversé des bienfaits de la colonisation, je me contenterai grosso modo de dire que la bonne ou la mauvaise perception de la colonisation par les peuples qui ont été colonisés se fait à travers le souvenir qu’ont laissé sur le terrain les représentants de cette colonisation. L’image effroyable qu’a laissée le général von TROTHA dans la colonie allemande du Sud-Ouest Africain où il avait massacré les Herreros n’a rien de comparable à celle laissée par son compatriote Theodor SEITZ dans la colonie allemande du Cameroun. Ce point fait partie de ceux sur lesquels je souhaite engager, avec ceux qui me feront l’honneur de visiter ce site, un débat franc, sincère, objectif et sans passion. Tout comme la question de la « repentance », que Christophe BARBIER et Eric MANDONNET ont qualifiée[2] de « levure du dernier mal français en date », avant d’ajouter : « Pour faire de son passé un patrimoine, la France quitte brutalement l’omerta pour le grand déballage, et la repentance sert de sas de décompression. » Très bien ! Mais alors, pourquoi y a-t-il eu et par qui a été entretenue cette omerta au départ ?

Dans un autre article intitulé « Colonisation : le mal de la repentance. » BARBIER et MANDONNET écrivaient aussi : « La gravité des événements des banlieues provient non pas de leur violence, mais de la nature du déchirement. « Nous vivons une crise d’identité, explique le député UMP Pierre LELLOUCHE. Nous sommes passés de la fracture sociale à la fracture nationale. » La France se croyait blonde aux yeux bleus ; elle se réveille noire et frisée, complète un de ses collègues. Et ça se voit dans le RER. » Evoquant l’émergence de la mémoire coloniale qui fait pendant à la théorie de ceux qui se refusent à toute repentance à propos de la colonisation, le regretté historien Claude LIAUZU[3] avait, dans un entretien avec Laetitia Van EECKHOUT[4], eu le mérite de recentrer ce débat dans le sens de l’apaisement, apaisement nécessaire, si la société veut mettre courageusement sur la table ses problèmes afférents à ces questions brûlantes pour en débattre sans a priori et sans passion. Ainsi, il estimait qu’il y a « un risque à occulter les crimes et le racisme inhérents au fait colonial. Ces dénis de l’histoire encouragent aujourd’hui ceux qui réactivent les réflexes nationalistes et confortent, par contrecoup, ceux qui prônent l’enfermement communautaire des groupes disqualifiés, ainsi interdits de passé. D’un côté, on a une histoire mensongère, celle de la colonisation positive, et, de l’autre, une histoire faussée, fondée sur le ressentiment : c’est extrêmement dangereux d’un côté comme de l’autre. » Et, sur la question de la repentance, sa réponse fusait, sans ambiguïté, comme un appel à la sagesse de tous : « Sans aller jusqu’à la repentance, il faut savoir dire la vérité, et la dire assez fortement pour que tout le monde l’entende. »

Mon intention en créant ce site est précisément d’apporter ma très modeste contribution à la recherche d’une part de cette vérité, à élargir ce débat. J’ai choisi pour cela une voie que certains jugeront peut-être surprenante : celle qui consiste à montrer qu’à bien y regarder, un lien indélébile unit la France à ses anciennes colonies d’Afrique, lien constitué par un pacte de sang qui a créé, n’en déplaise à ceux qui font tout pour occulter ce pan de notre histoire commune, une fraternité de sang entre nos peuples. C’est pour cette raison que je compte m’attacher principalement à montrer aux jeunes Français (Blacks, Blancs et Beurs, à qui on ne l’a jamais vraiment enseigné) la part de sacrifices consentis par ceux qu’on a appelés « les Tirailleurs Sénégalais » (nom générique attribué à tous les combattants d’Afrique Noire) au cours principalement des guerres de 14-18 et de 39-45 pour aider la France à sauvegarder sa liberté et son indépendance. Car, combien de Français (et d’Africains d’ailleurs) savent que, sur les 1038 Compagnons de la Libération (personnes physiques) il y avait des Noirs d’Afrique ? Combien savent-ils qu’il y a eu des combattants noirs dans la Résistance ? Qui connaît l’histoire du jeune Gabonais Georges DUKSON, membre des FFI (Forces Françaises de l’Intérieur) dans son quartier du 17e arrondissement de Paris ?…

Je ne veux pas m’étendre sur la douloureuse affaire du gel des pensions de ces anciens Tirailleurs Sénégalais, même si je ne peux l’occulter. Je voudrais simplement citer le témoignage plein d’amertume de l’un d’entre eux, qui résume à lui seul l’ensemble du malaise qui pollue les relations entre les peuples africains et français. Il a été publié le 25 août 2004 dans « Histoire et colonies », sous le titre « Ces Africains qui libérèrent la Provence, nommons-les… » Il s’agit du Sénégalais Issa SESSE (83 ans en 2004), qui débarqua à Saint-Tropez le 15 août 1944 à 4h du matin. Faisant abstraction de sa maigre pension, il estime surtout que « ce qui est malheureux c’est que les enfants n’ont pas le droit d’aller en France ; d’autres étrangers sont plus considérés que nos enfants avec leurs grands-parents qui ont fait la guerre se croyant français. » Il a également été marqué par l’ignorance des jeunes Français de ce qu’ont fait les Tirailleurs Sénégalais : « J’ai été à Paris, j’ai entendu les jeunes qui me voient avec les médailles et me demandent « pourquoi tu portes ça ? » Je leur explique et eux ils disent : « nous n’avons pas appris que des Tirailleurs Sénégalais ont fait la guerre en France », j’ai dit « comment, avec tous ceux tués en France ? » L’Afrique n’a pas compté dans la guerre…Heureusement, éclate-t-il de rire, tout le monde n’est pas mort. » Force est d’admettre que là réside un des drames de la France, qui n’a pas expliqué son histoire à sa jeunesse, ce qui entraîne malentendus et incompréhensions… Une situation qu’un débat franc et positif peut redresser. Je serais ravi d’y contribuer, avec tous ceux qui jugent cette situation anormale.

D’ores et déjà je remercie chaleureusement tous ceux qui, informés de mes intentions, encouragent et saluent mon initiative, au premier rang desquels les responsables du Mémorial Leclerc et d’autres organismes étroitement liés à l’histoire de la libération de la France ; des communes qui m’ont déjà communiqué des documents relatifs aux différents lieux de mémoire dédiés aux Tirailleurs Sénégalais (cimetières, monuments, stèles, dalles, plaques commémoratives…) ; des Anciens Combattants, des chercheurs et historiens qui ont répondu gentiment à mes demandes… Tous sont d’avis que ces Tirailleurs Sénégalais méritent qu’on leur rende l’hommage dont ils n’ont pas toujours bénéficié. C’est ce que nous essaierons de faire ensemble, si vous le voulez bien, si vous le souhaitez…

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Samuel MBAJUM
Officier de l’Ordre National du Mérite


[1] « Gouverneur SANMARCO/Samuel MBAJUM : ENTRETIENS SUR LES NON-DITS DE LA DECOLONISATION. » L’Officine.
[2] L’Express du 15/12/2005
[3] Il est mort dans son sommeil le 23 mai 2007.
[4] Le Monde du 8 mai 2005.

mercredi 22 avril 2009

Discours de Dakar : Les complicités coupables de Ségolène Royal


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Discours de Dakar :

Les complicités coupables

de Ségolène Royal

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par
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Alexandre Gerbi
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Dans le discours de Dakar de Ségolène Royal, le meilleur a côtoyé le pire.

Le meilleur, c’est l’affirmation que l’Afrique est « au cœur » des « préoccupations » de l’ancienne candidate socialiste à l’élection présidentielle.

Sachons apprécier cette belle affirmation. Pendant trop d’années, la classe politique française s’est souciée de l’Afrique comme d’une vieille chaussette. Il faut donc se féliciter de voir depuis quelque temps l’Afrique ressurgir dans le discours politique français, même si les ambitions chinoises, états-uniennes ou autres, en menaçant les positions françaises au sud du Sahara, ne sont peut-être pas totalement étrangères à ce soudain regain d’intérêt…

Au demeurant, une telle affirmation, dans cette bouche d’or socialiste, peut prêter à sourire. En effet, même si Ségolène Royal cherche, en égrenant fiévreusement les maigres occurrences de l’Afrique dans ses discours et écrits passés, à démontrer l’intérêt majeur qu’elle porte soi-disant au Continent-Mère, il n’est pas besoin de remonter aux calendes pour relativiser l’affirmation : dans la motion ségoléniste (motion E) du Congrès de Reims en novembre 2008, les mots « Afrique » et « Africain(s) » n’apparaissaient pas une seule fois – non, pas une seule fois… Si l’Afrique et les Africains sont « au cœur » des « préoccupations » de Ségolène Royal, force est de constater que c’est parfois sous une forme spectrale particulièrement diaphane…

Pour ce qui est des actions concrètes, la présidente de la région Poitou-Charentes, en politicienne madrée, sait mettre les petits plats dans les grands. Une camionnette frigorifique offerte aux femmes de Thiaroye, assortie de trois ou quatre mesurettes d’une ampleur analogue, et voici le monde qui change « globalement ». De telles incantations, plus magiques qu’économiques et politiques, une fois encore, prêteraient à sourire, si la situation du Continent n’était pas « globalement » tragique…

Venons-en maintenant au pire.

Nous nous abstiendrons d’ironiser sur le fait que Ségolène Royal fustige impitoyablement le néocolonialisme, tout en faisant mine d’oublier que celui-ci atteignit des sommets phénoménaux et particulièrement désastreux sous le double règne de François Mitterrand – dont elle fut ministre. Cela, bien sûr, Ségolène Royal semble n’en garder nul souvenir…

Nous n’aurons pas la cruauté de souligner que, comme Nicolas Sarkozy dans son discours de Dakar en 2007, Ségolène Royal tend à réduire, au gré d’une rhétorique fort à la mode, la colonisation à une faute, et l’ère coloniale au colonialisme, c’est-à-dire à son versant obscur et criminel. Au passage, elle oublie que la colonisation fut en grande partie un projet de gauche, que des générations de politiciens français de tout bord, traîtres aux principes les plus fondamentaux de la République, ont dévoyé aux dépens des Africains, mais aussi du peuple français qui jamais ne souscrivit aux dérives affreuses du colonialisme.

En revanche, il convient de souligner ceci : Ségolène Royal prétend s’opposer frontalement à Nicolas Sarkozy. En réalité, elle partage avec lui le même fonds de commerce idéologique, essentiellement mensonger…

En effet, à l’instar du président de la République, celle à qui l’on prête les plus hautes prétentions gouvernementales suit point par point le petit catéchisme de la Ve République blanciste, cet arsenal fallacieux diffusé conjointement, pour le dire vite, par le binôme de Gaulle-Sartre, ou si l’on préfère par la droite et l’extrême-droite alliées, en la circonstance, à la gauche et à l’extrême-gauche françaises. Sous la houlette, en ce temps-là, des Etats-Unis ségrégationnistes et de l’URSS stalinienne ou poststalinienne, superpuissances impérialistes grandes donneuses de leçons en matière démocratique, et alliées objectives dans cette affaire…

Ségolène Royal, comme Nicolas Sarkozy, prétend tenir aux Africains un discours de vérité. Et sur-le-champ, voici qu’elle déroule des chapelets de contrevérités sur la décolonisation, déployant la classique mythologie d’une Afrique avide d’indépendance, mythologie qui permit en réalité, il y a cinquante ans, de larguer « en finesse » les populations africaines de la France (à grand renfort de coup d’Etat, de promesses solennelles trahies et de Constitution violée pour museler la démocratie), plutôt que de satisfaire ce qui était la revendication fondamentale de l’immense majorité des Africains : non pas l’indépendance, mais tout au contraire l’égalité politique et la fraternité (oui, Madame, la Fra-Ter-Ni-Té) dans la République. Car cette égalité politique, Léopold Sédar Senghor, Félix Houphouët-Boigny ou Léon Mba pensaient qu’elle conduirait à l’abolition du colonialisme, par l’extension du modèle de développement économique et social hexagonal à tous les territoires africains de la France, dans le cadre, à l’époque, de la grande République Franco-Africaine égalitaire et sociale. Mais il est vrai que cette égalité, aujourd’hui encore, la classe politique métropolitaine continue d’y répugner : en témoigne le sous-régime social que le gouvernement entend instaurer à Mayotte, avec la complicité du Parti Socialiste…

Ségolène Royal a beau jeu de demander pardon au nom de la France pour les grossières élucubrations qui émaillèrent le discours guaino-sarkozyen de Dakar en 2007.

Mais viendra le temps où le petit peuple d’Afrique lui demandera des comptes à son tour. Sur ses complicités avec la Ve République blanciste, et sur celles de toute la gauche française, depuis des décennies. A commencer par les affabulations et autres intoxications historiographiques qui permirent de bouter les Nègres hors de la République, et de les vouer à la troisième grande flétrissure historique que le monde noir eut à subir de la France après l’esclavage et le colonialisme : la décolonisation-largage, sous-tendue par le déni d’égalité, et son corollaire néocolonialiste, stade suprême du capitalisme.

L’occasion en sera donnée, n’en doutons pas, dès l’an prochain, avec le 50e anniversaire des prétendues « indépendances » africaines…

Gageons que d’ici là, Ségolène Royal comme Nicolas Sarkozy et bien d’autres chefs politiques français, se seront donné les moyens d’accomplir cette révolution culturelle, afin de se mettre au diapason de l’exigence de vérité dont ils ont plein la bouche.

De la sorte, ils cesseront de jeter à la figure des Africains les menteries honteuses du régime. Et par la même occasion, ils cesseront d’insulter cette France qu’ils prétendent défendre, et que nos frères d’Afrique, qui ne sont pas dupes, continuent d’aimer.




Alexandre Gerbi




samedi 14 mars 2009

Après la crise aux Antilles


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Indépendance
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par
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Claude Garrier
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Dans une interview publiée vendredi 13 février 2009 par Le Parisien, Martine Aubry déclarait : « Je crains effectivement que le sentiment de ras le bol des Guadeloupéens et des Martiniquais se diffuse ici ». Elle ajoutait : « C'est ce décalage [la surdité du chef de l’État aux attentes des Français] qui me fait craindre une propagation des événements qui agitent les Antilles ».

Voici le chef d’un parti dit « de gauche » qui craint une action de masse ; il oublie que « la force est l’accoucheuse de toute vieille société en travail » (Karl Marx, Le capital, Livre I, Garnier-Flammarion, 1969, p. 556). Il ne faut pas confondre « vieille société » et « société de vieux ». La société française, plus généralement les sociétés de l’Union Européenne et de la Russie, ne sont plus en état d’être « en travail ».

Alors que l’âge moyen en Guadeloupe est de 34,6 ans, celui de la métropole s’élève à 39,5 ans, supérieur de cinq années, ce qui explique (au regard des principes dégagés par Gaston Bouthoul) en partie l’explosion de violence dans ce département. L’âge moyen martiniquais est inférieur de trois ans à l’âge moyen national : 36,4 ans contre 39,5 ans ; plus encore, celui de la Guyane est de treize ans inférieur à celui de la France métropolitaine (26,6 ans contre 39,5 ans)1.

Martine Aubry, premier secrétaire du Parti socialiste, craindrait-elle une pollution de la politique métropolitaine par les habitants des DOM-TOM, alors que se présente l'amorce d'un mouvement qui pourrait ouvrir la voie à une rupture avec 50 ans de monarchie, de « coup d’État permanent » ? En octobre-novembre 2005, l'émeute des banlieues offrait une occasion (« opportunité » dans ce sens-là est un anglicisme, certes répandu, mais pas très beau…) comparable qui n'a pas été exploitée et même qui a été rejetée avec horreur par les « socialistes » ou ceux qui se prétendent tels. Il est vrai que les émeutiers étaient présentés comme maghrébins et africains « issus de l’immigration » alors qu’il s’agissait de jeunes nés en France ; rien de bien encourageant. Hélène Carrère d'Encausse avait, à cette occasion, fustigé la polygamie, cause selon elle de la mauvaise éducation des jeunes des banlieues.

Dans l’optique politicienne d’une collecte d’électeurs, on note que le sondage d’OpinionWay-Le Figaro, publié par le Figaro, trouve 51 % de Français de l'Hexagone favorables à l'indépendance (au largage) de la Guadeloupe (et du reste) ; le questionnement auquel procède le site LePost obtient, le 2 mars 2009, 60,7 % de réponses favorables à l’indépendance de la Guyane, alors que 80 % des Guyanais ne la souhaite pas.

En 1998, Laurent Gbago, alors député de Côte d’Ivoire, évoquait, dans un entretien privé, la discussion qu’il avait eue avec les indépendantistes antillais. Alors que Laurent Gbagbo s’étonnait de ce qu’ils avaient abandonné leur revendication, les ex-indépendantistes lui avaient répondu que c’était « à cause de la petite voiture jaune », celle de la poste qui apporte les mandats d’allocations familiales, d’aides au logement, etc.

La volonté de maintien dans la structure française n’est pas désintéressée pour tous les « départemento-colonisés ». Est-elle plus sincère ailleurs ?

Je rappelle que les Alsaciens ont accepté de revenir dans la structure française en 1918 sous la condition de préserver les avantages tirés du concordat (rémunération des clergés par l’État, enseignement de la théologie à l’université de Strasbourg), maintien de la forme échevinale des tribunaux de commerce (un président, magistrat professionnel, des assesseurs commerçants élus) et des conseils de prud’hommes (forme abandonnée : loi du 6 mai 1982), un régime d’assurances maladie alors inconnu en France et généralisé en 1945.

Il y a peu de mariages complètement désintéressés. Cela n’a pas empêché des Alsaciens de choisir la France en juin 1940 (au lieu de retourner dans leur région) et de continuer le combat sous des formes diverses jusqu’à l’écrasement des forces allemandes.

La situation présente, particulièrement les atermoiements voulus par l’Élysée et le Medef, est-elle destinée à préparer le largage des derniers « Nègres », l'aboutissement de l'opération entreprise par de Gaulle et consorts2 ?




Claude Garrier

lundi 2 mars 2009

Manifeste du Club Novation Franco-Africaine

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Manifeste
du
Club Novation Franco-Africaine


constellation d’individus et de facettes libres

Tristan Tzara



Intention générale


Le Club Novation Franco-Africaine, est ouvert à toutes les femmes et à tous les hommes de bonne volonté qui souscrivent aux principes énoncés dans le Manifeste du Club Novation Franco-Africaine.

Le Club Novation Franco-Africaine, en mettant en lumière l’histoire occultée franco-africaine, en dissipant les mensonges, veut mettre en place les conditions d’une nouvelle fraternité, afin qu’une politique franco-africaine novatrice devienne enfin possible.


Principes généraux


Depuis près de cinquante ans, l’histoire franco-africaine est lue à travers un prisme déformant.

L’histoire officielle, érigée en véritable « idéologie de la Ve République », affirme que la France fut contrainte, malgré elle, de se retirer d’Afrique, sous la pression des peuples et de leurs leaders avides d’indépendance.

Or nous voyons les choses de façon sensiblement différente.

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Après la Seconde Guerre mondiale, la majorité des leaders d’Afrique subsaharienne ne réclamaient pas l’indépendance, mais l’égalité politique.

Par ce biais, Lamine Guèye, Léopold Sédar Senghor, Félix Houphouët-Boigny, Léon M’Ba et bien d’autres leaders politiques africains entendaient consolider l’ensemble franco-africain et la République française, « une et indivisible ».

Leur donner satisfaction aurait provoqué une métamorphose du peuple français. Le Parlement s’en serait trouvé fortement marqué, tout comme le gouvernement.

Une telle révolution aurait mis un terme au colonialisme. Car si les territoires ou les États africains et la France s’étaient unis dans un cadre strictement démocratique, le colonialisme aurait certainement été, de ce fait, aboli. Par le jeu de la démocratie, l’exploitation des peuples d’outre-mer n’aurait pu perdurer. Les dirigeants français – européens ou africains –, dorénavant suspendus à la sanction des urnes des citoyens d’Afrique autant qu’à celle des métropolitains, auraient été contraints de traiter l’ensemble du peuple français, y compris au sud de la Méditerranée, avec dignité. Il eût fallu en effet procéder à la redistribution équitable de l’impôt, sous la forme de tous les services publics qui contribuent au développement efficace d’une nation : école gratuite, sécurité sociale, infrastructures, etc.

Au tournant des années 1950, refusant de satisfaire la revendication d’égalité des populations et des hommes politiques africains, refusant, surtout, les conséquences impliquées par ce choix, la majorité de la classe politique métropolitaine, de droite comme de gauche, se résolut à procéder à la « décolonisation ». Selon un plan mûrement réfléchi, que le général de Gaulle se chargea d’exécuter.

C’est ainsi que la Métropole choisit de se séparer de ses anciennes colonies, en démembrant la « plus grande France », afin d’esquiver, selon les termes de l’époque, la « bougnoulisation » – comprendre le métissage de la nation et du peuple français, du Parlement et du gouvernement français. Mais aussi pour rendre possible la perpétuation du système colonialiste, que la démocratie dans la République eût interdit.

Ce choix, le général de Gaulle et ses alliés métropolitains de droite comme de gauche, encouragés voire appuyés par des puissances étrangères (notamment les États-Unis et l’Union Soviétique), l’imposèrent à des leaders politiques et des populations africaines souvent réticentes voire radicalement hostiles à l’indépendance. Car à l’époque, l’histoire avait tissé des liens profonds et intenses entre beaucoup d’Africains et la France, des bancs de l’école aux champs de bataille, comme l’a rappelé au grand public le film Indigènes de Rachid Bouchareb.


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Ayant réussi à séparer la France et l’Afrique, connaissant la force des sentiments francophiles et républicains en terre africaine, les dirigeants métropolitains, de droite comme de gauche, durent prévenir tout risque de retour à une dangereuse revendication d’unité franco-africaine dans la République et la démocratie.

C’est dans ce but que fut mise en place une idéologie complexe qui refoula tout un pan de l’histoire et de la sensibilité franco-africaine.

En Afrique comme en France, quoique diversement, tout fut mis en œuvre pour que les peuples oublient leur histoire commune et leur fraternité par delà les races, les cultures et les religions.

Les belles signares, le roi Makoko, Pierre Savorgnan de Brazza et le grand Esprit Nkoué Mbali, Faidherbe et Schœlcher, Blaise Diagne, Robert Delavignette, Gaston Monnerville, Lamine Guèye, les tirailleurs sénégalais, mais aussi Toussaint Louverture et le général Dumas… Autant de noms qui disparurent des mémoires, ou furent désormais présentés de façon partielle et partiale, au service de l’idéologie de la séparation.


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La vision tronquée de l’histoire qui prédomine encore aujourd’hui entrave gravement et pollue les relations franco-africaines. Rien de sain ne peut se construire sur un mensonge, sur des non-dits, sur des sensibilités et des identités refoulées. Les crises identitaires, plus généralement les crises de système en France sont le pendant des crises politiques et sociales qui déchirent l’Afrique depuis des décennies.

C’est avec à l’esprit l’idée que les différents peuples qui composent aujourd’hui l’Afrique francophone, la France métropolitaine et de les DOM TOM, furent un jour un seul grand peuple en voie de fusion – fusion balbutiante selon les uns, commencements exemplaires selon les autres – que le Club Novation Franco-Africaine entend rappeler aux jeunes générations, en Afrique et en France, ce monde fraternel renié.

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Le Club Novation Franco-Africaine ne se bornera pas à mettre au jour les vestiges d’un monde abîmé.

Il entend aussi, fort des leçons du passé appréhendées avec un nouveau regard, trouver dans un rapprochement fraternel et constructif entre la France et l’Afrique les clefs pour le monde de demain. Ces retrouvailles sont plus que jamais d’actualité, comme l’a démontré la campagne présidentielle 2007 en France, comme le démontrent les préoccupations sécuritaires de nos autorités, comme le réclament beaucoup d’intellectuels africains. Comme de plus en plus d’hommes l’espèrent et le croient, en Afrique aussi bien qu’en France.

Car nos pays et le monde endurent un malaise, fruit des non-dits et des travestissements d’un système mondial trop sûr de lui et trop sûr de nos silences. Convaincu que l’esprit de la France « éternelle » est celui de la Liberté, de l’Egalité et de la Fraternité entre tous les hommes, de la démocratie dans la République laïque et sociale, que le monde meurt d’obscurantisme et d’égoïsme de nos jours encore, le Club Novation Franco-Africaine espère contribuer, à travers cent bouches et mille cœurs, à faire renaître une grande idée de la France, qui est nécessairement, aussi, africaine ; et, corrélativement, une grande idée de l’Afrique, qui est, nécessairement, aussi, française. Pour construire la nouvelle Afrique et la nouvelle France.


Moyens d’action

Ancré dans le réel, le Club Novation Franco-Africaine se voue aussi à l’action.

Le Club Novation Franco-Africaine s’emploiera à favoriser l’émergence et la diffusion de tout ouvrage ou de tout document audiovisuel susceptible de mettre à nu ce que nous avons appelé l’idéologie de la Ve République, afin de restituer, en particulier aux jeunes générations, l’histoire commune dans sa complexité et sa fraternité trop oubliées.

Le Club Novation Franco-Africaine mettra tout en œuvre afin qu’à l’avenir, les axes historiographiques fondamentaux exposés dans le Manifeste du Club Novation Franco-Africaine soient, le plus rapidement possible, pris en compte dans l’élaboration des programmes scolaires.

Le Club Novation Franco-Africaine s’attèlera à la préparation d’un Symposium franco-africain qui, dès la première année, visera à définir un programme au service d’une vision vertueuse et stratégique des relations franco-africaines. Ce programme sera soumis aux instances dirigeantes des pays concernés.

Le Club Novation Franco-Africaine diffusera systématiquement les résultats de ses travaux en direction des médias et des associations.

Le Club Novation Franco-Africaine ira aussi, notamment, à la rencontre des femmes et des hommes politiques français et africains, de droite comme de gauche, pour les questionner sur ce pan historique et politique qu’il met au jour : l’histoire occultée de la décolonisation franco-africaine et ses inavouables non-dits. Afin de les interroger, à cette aune, sur les propositions qui sont les leurs aujourd’hui, en matière de réflexion et d’action franco ou euro-africaines.


Objectifs

Que l’Afrique et la France renouent l’une avec l’autre, dans un rapport de fraternité, c’est-à-dire d’estime réciproque et de respect de l’autre dans son originalité et ses spécificités, sans être aveugles à leur profonde et commune identité, forgée par l’histoire et enracinée dans l’humain.

Fort de cette conviction, loin des rancœurs mais sans amnésie, conscient que tout crime, tout crime raciste en particulier, nous renvoie avant tout à nos faiblesses d’homme, le passé doit redevenir source de leçons pour mieux agir, non un prétexte pour commettre de nouveaux crimes.

Persuadé par-dessus tout, dans le sillage d’Alioune Diop, que l’homme de demain sera un homme moderne, un honnête homme debout face à tous les esclavages et à toutes les superstitions, ouvert à l’Autre et au monde, fier de ses racines sans y être empêtré, le Club Novation Franco-Africaine entend œuvrer pour qu’une nouvelle politique franco-africaine devienne réalité, dans la Liberté, l’Egalité, la Fraternité et la Laïcité. Fidèle au souvenir de la sublime Nuit du 4 août 1789, qui surgit sous les cieux de France, mais s’adressait dans la joie à tous les hommes de l’univers.


Fait à Paris, Bordeaux et Düsseldorf,
octobre 2007-mars 2009

Jean-Marie Aimé
Mauricio Garay
Claude Garrier
Alexandre Gerbi
Soraya Karimi
Magloire Kede Onana
Samuel Mbajum
Simon Mougnol
Hilaire Sikounmo
Raphaël Tribeca
Agnès Ullrich

Contact / Information : .cnfa1
@yahoo.fr


vendredi 27 février 2009

Article publié dans Témoignage, quotidien réunionnais, le lundi 23 Mai 2005


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La Constitution européenne
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prévoit le largage de la Réunion
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par
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Jean Saint-Marc
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20 mai 2005. Jusqu'à ce jour, tous les partisans du ‘oui’ nous ont soigneusement caché l'un des pires pièges contenu dans la Constitution.

Ce piège est contenu dans l’article IV-440 (pp. 83 et 84). Cet article, intitulé Champ d'application territoriale, institue - dans ses paragraphes 2 et 7 - une menace permanente à l'encontre du statut de La Réunion et des autres DOM.

Nous publions ci-après les paragraphes 7 et 2 de l’article 4-440 du projet de Traité constitutionnel européen soumis à référendum le 29 mai prochain. Paragraphe 7 (p. 84) :

"Le Conseil européen, sur l’initiative de l’Etat membre concerné, peut adopter une décision européenne modifiant le statut à l’égard de l’Union d’un pays ou territoire danois, français ou néerlandais visé aux paragraphes 2 et 3. Le Conseil européen statue à l’unanimité, après consultation de la Commission".

Quels sont les : " pays ou territoire français visés" ?

Le paragraphe 2 nous le dit : il s’agit de "la Guadeloupe, la Guyane française, la Martinique, la Réunion , conformément à l’article III-424". (p. 80)

Pour modifier le statut de La Réunion, la Constitution européenne a choisi une procédure très simple : il suffit que la France formule une demande auprès du Conseil Européen pour que celui-ci par une simple délibération, statue sur la sortie des DOM de l’ensemble européen, par exemple. Cette procédure est d’autant plus simple et rapide que les réunions de la Commission sont fixées "chaque trimestre sur convocation de son président" (article I-21 : "Le Conseil européen" p. 12).

Avec cette procédure, l’Union Européenne pourrait donc priver les Réunionnais, les Guadeloupéens, les Martiniquais et les Guyanais du bénéfice de leur statut actuel de région ultrapériphérique. Sans même leur demander leur avis.

En effet, la Constitution européenne ne prévoit aucun dispositif de consultation des Réunionnais, Guyanais ou Antillais.

La Constitution permet donc à l’Union Européenne et au gouvernement français de s’arranger sur le dos des habitants de l’Outre-mer.

Avec cet article IV-440, paragraphes 2 et 7, les DOM et donc La Réunion, courent le risque de devenir l’objet d’on ne sait quels marchandages. Cette Constitution a ainsi forgé une épée de Damoclès suspendue - par un fil fragile - au-dessus de la tête des Domiens.

Quelles peuvent être les raisons soigneusement tenues secrètes jusqu’à ce jour qui ont motivé la Convention - présidée par Valéry Giscard d’Estaing - à prévoir de telles mesures ?

Cette question est légitime car Valéry Giscard d’Estaing lui-même ainsi que tous les propagandistes du ‘oui’ nous ont dit et répété que cette Constitution était la meilleure possible puisqu’elle avait été rédigée presque totalement par la France.

Toujours est-il que, face à la découverte de cette menace, il n’y a plus une seule minute à perdre. En effet, si, le 29 mai, cette Constitution devait être adoptée, cet article IV-440 ouvrira la porte à un changement de statut. Par exemple, les 4 DOM peuvent rapidement être déclassés au rang de PTOM (Pays et territoires d’outre-mer). Une telle hypothèse entraînerait pour les DOM des conséquences considérables, notamment sur le plan financier. Plus que jamais, le ‘non’ apparaît comme un salutaire réflexe de survie.

Jean Saint-Marc

http://www.bondamanjak.com/a-la-une/169.html?task=view



Alexandre Gerbi

mardi 24 février 2009

crise en Guadeloupe


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Antilles et Guyane :
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Largages en ligne de mire ?
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par
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Alexandre Gerbi
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Ces temps-ci, difficile de dire si la Ve République blanciste agonise, ou si, sous prétexte d’en finir avec ses vieux démons, elle s’apprête à connaître l’une de ses innombrables métamorphoses afin de mieux poursuivre ses objectifs fondateurs… Le régime nous a habitués, depuis un demi-siècle, à trop de duplicité, pour que nous n’appréhendions pas aujourd’hui avec la plus extrême méfiance ses nouvelles déclarations d’intention.

A l’occasion de l’embrasement de la Guadeloupe sous la houlette d’un collectif dont le leader, Elie Domota, se trouve être aussi indépendantiste, voici qu’affleure çà et là, y compris dans la bouche du chef de l’Etat, la question de l’indépendance. Bien sûr, pour le moment, le mot en tant que tel reste tabou et n’est pas prononcé. On préfère parler d’une très honorable révision du « statut » des DOM dans de très opportuns « états généraux »…

Yves Jégo, secrétaire d’Etat à l’Outre-mer, déclarait sur le plateau de Ripostes (France 5), le 22 février : « Qu’est-ce que dit le président (Sarkozy) ? Il dit (…) "gouvernance" au sens large... Alors autonomie, décentralisation… Posons-nous les questions. (…) Je pense qu’effectivement, dans des régions aussi éloignées de la métropole, il faut que les formes de gouvernance locale permettent aux acteurs locaux d’avoir plus de responsabilités, la Constitution le permet, le président de la République est prêt à ouvrir ce débat, mais il faut qu’on ait aussi le courage de dire que plus de responsabilités ce sera, quelque part, moins d’Etat ou mieux d’Etat (…) »

L’histoire de la France colonialiste enseigne que, sur le chemin du largage déguisé en indépendance, l’autonomie fait souvent office d’étape, voire de tremplin. Or, tantôt à mots couverts, tantôt ouvertement, c’est bien d’autonomie qu’il est aujourd’hui question tous azimuts. En attendant « mieux »…

Certains objecteront :

« Comment voulez-vous que, d’ici quelques années et après quelques très démocratiques tables rondes, les Antilles, Guadeloupe, Martinique, voire la Guyane, puissent devenir indépendantes, alors que l’écrasante majorité de leur population y est largement défavorable ? »

A quoi je répondrai : et pourquoi pas ? Il y a cinquante ans, les territoires de l’Afrique dite française ont bien accédé à l’indépendance alors même que l’écrasante majorité de leurs populations et de leurs leaders n’y étaient pas favorables…

Certains objecteront encore :

« Comment voulez-vous que les Antilles, voire la Guyane, deviennent indépendantes au nom d’un mieux-disant économique et social, alors que leurs populations savent très bien qu’à ce petit jeu-là, elles risquent de connaître une vertigineuse dégringolade économique et sociale ? »

A quoi je répondrai : et pourquoi pas ? Il y a cinquante ans, malgré des réserves exactement analogues, les territoires de l’Afrique française connurent bien une pareille trajectoire… Aux sons de cors joyeux et triomphants, on fit avaler aux populations africaines chutes, douleurs et drames… Décennies après décennies, de beaux esprits français, africains et internationaux justifièrent les souffrances du petit peuple d’Afrique, au nom des « passages obligés de l’histoire », prix à payer sur le glorieux chemin de la liberté nationale et des lendemains qui chantent…

Certains diront enfin :

« Ainsi donc, les Antilles, voire la Guyane, deviendraient indépendantes, avec le risque d’être désormais la proie de petits dictateurs nationalistes plus ou moins illuminés jouant la carte du bourrage de crâne et du lavage de cerveau, sur fond de répression sanglante et d’intrigues états-uniennes, chinoises, voire, plus simplement, françaises ? »

A quoi je répondrai : et pourquoi pas ? Il y a cinquante ans, les territoires africains devenus indépendants s’engagèrent, pour beaucoup, dans des voies similaires, entre dictature, corruption et nationalisme, avec la bénédiction et l’appui de la Ve République, et sans que qui que ce soit, finalement, y trouve grand-chose à redire… D’ailleurs, depuis, nul ne songe à rappeler que ces pseudo-indépendances, désastreuses pour les populations africaines, furent voulues par l’ancien colonisateur avec la complicité de ses grands rivaux internationaux, officiellement pour le plus grand bien de l’Afrique, dans les faits afin de prolonger l’exploitation de populations désormais sans défense…

Mais foin de ces jérémiades ! Après tout, pourquoi s’opposer à ce nouveau grand bond en avant de l’Histoire, inscrit dans le droit fil de l’idéologie de la Ve République blanciste et de la merveilleuse idéologie mondiale issue de la guerre froide, dont on observe, depuis cinquante ans, les indiscutables splendeurs, et les fabuleuses conquêtes sociales ?

La Ve République blanciste, incapable de s’opposer à l’immigration dans l’Hexagone de cohortes d’anciens indigènes accablés de misère, trouverait là le moyen de se débarrasser d’un seul coup d’un seul de quelques millions de citoyens Nègres de plus en plus excités, de moins en moins dociles, de plus en plus coûteux, et, c’est bien connu, comme toujours les Nègres, incapables de la moindre compétitivité économique.

De leur côté, les gentils nationalistes locaux verraient leur grand soir s’accomplir, et leurs populations invitées, sous les confettis et les serpentins, à payer l’addition, en monnaie de misère, de narcissisme débilitant, ou de coups de bâton sur la tête – cette fois, évidemment, pour la bonne cause…

Car aujourd’hui, comme au beau temps de la décolonisation, de nombreux camps voient leurs intérêts immédiats converger…

Il y a six ans, le dernier projet de réforme du statut des Antilles, porté à l’époque par l’UMP et le PS sous les applaudissements des indépendantistes, fut rejeté le 7 novembre 2003 par les populations guadeloupéennes et martiniquaises, qui y virent une entourloupe destinée à les pousser subrepticement vers la sortie de la République. Les événements actuels offriraient-ils une occasion d’accomplir tout de même cette superbe réforme ?

Mais je m’égare. Nicolas Sarkozy ignore la duplicité. Il n’est pas homme à imposer au peuple, par des chemins de traverse, un statut ou un traité rejeté démocratiquement quelques années plus tôt. Chacun sait qu’il entend rompre, et qu’il rompra, avec les fâcheux penchants du régime. Le peuple sera écouté. Les populations antillaises seront écoutées. Elles cesseront d’être méprisées et prises par l’Etat pour des Français de seconde zone, reléguées dans un assistanat condescendant et pervers. Elles ne seront pas caressées dans le sens du poil identitaire et racial au gré d’une stratégie visant à les pousser à prendre le large. Les indépendantistes ne seront pas instrumentalisés pour négocier adroitement un nouveau largage des territoires ultramarins, et par trop nègres, de la France, qui a bien d’autres chats à fouetter…


Alexandre Gerbi

jeudi 12 février 2009

Décolonisation : précisions sémantiques et politiques

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Décolonisation :

précisions sémantiques

et politiques

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par

Alexandre Gerbi

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« Indépendance », « décolonisation », « dé-colonisation », « unité franco-africaine »… Autant de concepts importants parfois méconnus, souvent mal connus. Quelques éclaircissements s’imposent, tandis que la Ve République blanciste continue d’entretenir à dessein la plus complète confusion sur ces questions…

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Dans un essai intéressant disponible sur Internet, l’historien Martin Shipway note : « Ce néologisme « dé-colonisation » est trompeur, et décrit de façon simpliste un processus historique des plus complexe. (…) Ce processus d’ailleurs ne s’appellera ainsi que par la suite, car si le mot existe déjà, il implique autre chose, la réforme plutôt que la dissolution coloniale[1] ».

Remarque intéressante, qu’on peut expliquer comme suit.

Dé-colonisation : fin de la colonisation. Autrement dit : fin du système colonial. De là, on est tenté de comprendre automatiquement : dé-colonisation = indépendance des anciens territoires colonisés, accession de leurs populations à l’indépendance. D’où cette autre façon de poser l’équation : dé-colonisation = indépendance.

Or, comme le souligne Martin Shipway, les choses sont un peu plus complexes.

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L’égalité et l’unité comme meilleur moyen de dé-coloniser

Pendant toute la période (1945-1960) qui conduisit aux indépendances des anciens territoires de l'Afrique française, dans l’esprit des colonisés, et en particulier dans l’esprit de leurs représentants, la question se posait tout autrement.

Pour la plupart des leaders africains de l’époque, « dé-colonisation » = évolution nécessaire, à savoir : fin du système colonial.

Or, si l’objectif de la dé-colonisation était la fin du régime colonial par nature inégalitaire, la sortie de ce régime devait avoir pour moyen l’instauration de l’égalité entre toutes les parties de l’Empire, métropole comprise, et non pas de l’indépendance, que la plupart des leaders africains jugeaient à la fois non viable et absurde.

Autrement dit, si la plupart des leaders de l’Afrique française jugeaient la dé-colonisation indispensable, ils l’envisageaient selon des modalités qui n’impliquaient nullement l’indépendance. Au contraire, ils prônaient un rapprochement avec la métropole. La dé-colonisation telle que la concevait la majorité des leaders africains s’inscrivait donc dans le cadre d’une unité franco-africaine non seulement maintenue, mais surtout renforcée par l’instauration de l’égalité et de la fraternité. C’était notamment l’argument d’un Senghor ou d’un Houphouët-Boigny.

On le comprend, non seulement l’indépendance n’était pas envisagée comme le seul moyen d’en finir avec le colonialisme, mais, mieux encore, le maintien de l’unité franco-africaine était considéré comme la meilleure garantie de l’abolition du système colonial, en tant que cette unité républicaine était le lieu de la démocratie et de l’égalité, dont le Parlement devait être à la fois le reflet, l’instrument et le garant de la promotion.

Ainsi, pour les Africains de l’époque, prôner la dé-colonisation, c’était non pas mettre en cause l’unité politique franco-africaine, mais revisiter les modalités de cette unité, selon des voies susceptibles, précisément, de la renforcer, par la stricte application des principes républicains.

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La décolonisation comme anti dé-colonisation et levier néo-colonial

Par ailleurs, la réciproque « indépendance = décolonisation » est elle-même sujette à caution.

En effet, comme le note Simon Mougnol : « Chacun sait qu’une Afrique à égalité avec la France aurait bénéficié d’une élévation du niveau des équipements mais aussi de l’instauration de la démocratie dans ses régions. Avec la démocratie, la métropole aurait eu à respecter ses populations et n’aurait plus pu continuer à tirer des ficelles. Tandis qu’avec les indépendances, elle put continuer à jouer les colons de l’ombre, sans avoir de comptes à rendre[2]. »

A ce degré, on peut se demander si la « décolonisation », synonyme ici d’« indépendance », n’est pas l’antithèse de la dé-colonisation, puisqu’elle est le cadre permettant une perpétuation de l’état colonial, en tant qu’elle permet d’empêcher l’instauration de l’égalité, et qu’elle permet (ou même qu’elle vise) de surcroît l’instauration du néo-colonialisme.

En d’autres termes, et paradoxalement, l’indépendance peut être perçue comme le meilleur moyen qui fut trouvé pour empêcher la dé-colonisation, en tant qu’elle fut octroyée (voire, dans certains cas, imposée) afin de refuser l’égalité et, dans un deuxième temps, de rendre possible la poursuite du colonialisme.

Inversement, le maintien dans la République dans un cadre égalitaire, réclamé par la majorité des leaders africains après la Seconde Guerre mondiale, était le meilleur moyen de renverser le colonialisme, et donc de dé-coloniser. D’où la position de la plupart des leaders africains, notamment Félix Houphouët-Boigny ou Léon Mba.

Où l’on découvre que cette autre équivalence pourrait être envisagée : maintien (relance) de l’unité franco-africaine = abolition du (néo)colonialisme.

Dans les faits, on constate bien que la « décolonisation », telle qu’elle eut lieu, en empêchant l’instauration d’une égalité réelle entre métropole et outre-mer, entrava la dé-colonisation, puisqu’elle rendit possible la perpétuation du système colonialiste par le biais du néo-colonialisme.

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La décolonisation pour empêcher la « colonisation » de la France par l’Outre-mer africain

La « décolonisation » empêcha, aussi, la « colonisation » de la métropole par son Outre-mer africain.

En effet, l’égalité politique pleine et entière accordée aux citoyens africains, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs que les citoyens métropolitains, aurait conduit à une métamorphose de l’ensemble franco-africain, et donc de la « France ».

Les Africains, représentés à proportion de leur nombre au Parlement, auraient vu croître leur influence, et s’améliorer le sort de leurs territoires.

Cette (r)évolution sur le terrain et au Parlement aurait conduit à une métamorphose de l’identité française, devenue ipso facto identité « franco-africaine ». La France, organisant l’égalité de tous ses citoyens, aurait assisté à sa propre métamorphose. Le modèle de civilisation français se serait mêlé aux modèles de civilisation africains, vers une synthèse érigée à leur confluence et nourrie de leurs génies respectifs.

Dans ce cadre, le colonialisme, grâce à la démocratie, aurait été réellement aboli. Non seulement structurellement, mais aussi culturellement : la prétendue supériorité de la civilisation française aurait fait place aux vertus qui sont les siennes ; la prétendue infériorité de la (ou des) civilisations africaine(s) aurait fait place aux vertus qui sont les siennes (ou plutôt les leurs). Chacune des parties abolissant les faiblesses de l’autre, et renforçant l’autre de ses vertus propres. A terme, de la synthèse, des influences et des évolutions respectives et réciproques, l’unilatéralisme et les sens uniques conjurés par l’exercice de la démocratie égalitaire, aurait surgit l’identité franco-africaine, synthèse de ce que chacune des civilisations ainsi mêlées a de meilleur.

Inquiètes de tout cela, les autorités politiques métropolitaine, soucieuses de maintenir la France dans une identité selon elles essentiellement, voire exclusivement, européenne, ont préféré manœuvrer pour conduire les territoires d’Afrique vers l’indépendance. Elles ont, insidieusement, favorisé toutes les réflexions et idéologies qui, du côté africain, en servaient la cause. Face à un Etat français avide de préserver l’identité européenne de la France, on vit les nouveaux états africains partir en quête de leur identité africaine, encouragés dans cette voie par l’ancienne métropole.

Les autorités hexagonales, organisatrices de la séparation franco-africaine, craignant un retour de flamme en faveur de la périlleuse unité, jugèrent opportun de conforter l’Afrique dans cette voie « identitaire ». Les autorités métropolitaines diffusèrent donc l’idée que ce choix de l’indépendance était celui des Africains, et que la « décolonisation » était la conséquence mais aussi la condition sine qua non de l’abolition du régime colonial.

Ce lien organique d’équivalence entre indépendance et dé-colonisation fut patiemment tissé, alors même que cette indépendance visait à empêcher l’abolition du colonialisme, en permettant sa perpétuation sous une forme nouvelle.

Tour de force, le maintien de l’unité franco-africaine fut assimilé à une manœuvre en faveur du maintien du colonialisme, alors qu’il était, à condition que la démocratie soit pleinement appliquée, le meilleur moyen de l’abolir.

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Perpétuation de la confusion

Aujourd’hui, nous ne sommes pas sortis de ces confusions sémantiques, entretenues à desseins par ceux qui décidèrent de la séparation franco-africaine.

Et pour cause : ceux qui gouvernent la France aujourd’hui sont les héritiers de ceux qui, il y a cinquante ans, larguèrent l’Afrique pour éviter la « bougnoulisation » de la France, et orchestrer le néo-colonialisme.

Les hommes politiques doivent reconnaître qu'ils ont conduit les populations de France et d’Afrique dans une impasse dont elles ne pourront sortir que si elles connaissent la vraie vérité de leur passé. Les dés sont jetés, la messe a été dite : il s'agit maintenant de réimaginer une sorte de puissant partenariat entre la France et les anciens pays de l'« Empire », un partenariat consolidé par les liens très forts qu'une vague de politiques avaient, pour des raisons ou pour d'autres, cru bon de ruiner. Ainsi l'Hexagone pourra-t-il sauver sa cohésion sociale, en la fondant sur de riches et profondes retrouvailles.

Nous accorderons foi aux belles déclarations d’intention de M. Sarkozy sur la « Rupture » en matière de politique africaine et ultramarine de la France lorsque les discours officiels du gouvernement français, qui constituent le soubassement idéologique de sa politique depuis un demi-siècle, cesseront de falsifier l’histoire de la « décolonisation » franco-africaine, et de jouer sur les mots.

Alexandre Gerbi



[1] Martin Shipway, La Décolonisation : une exploration à rebours ? http://www.bbk.ac.uk/lachouette/chou31/Shipwa31.pdf

[2] Simon Mougnol, Célébrations de Mai, article paru sur le site Afrique Liberté, mars 2008.

mardi 27 janvier 2009

Le Dr Claude Garrier, membre cofondateur du Club Novation Franco-Africaine, nous a envoyé cette nouvelle tribune. Comme indiqué en exergue de son Manifeste, notre Club est une « constellation d’individu et de facettes libres ». Nous avons des ancrages politiques différents et même des divergences, bien que nous ayons décidé de nous unir pour dénoncer le mensonge de la décolonisation franco-africaine. Cette tribune consacrée aux chimères occidentales n’engage donc que son auteur, notre ami Claude Garrier...
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Nous en profitons pour souhaiter à nos visiteurs et au reste du monde une merveilleuse année 2009, pleine de rêves réalisés et de bonheur. Puisse la crise qui semble devoir s'amplifier conduire les esprits qui pensent à notre place à dire enfin la vérité, toute la vérité sur la décolonisation franco-africaine. Afin qu'ayant désigné les sources de tant de nos maux, des remèdes puissent être trouvés pour construire heureusement l'avenir...
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Chimères occidentales

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Claude Garrier



Les occidentaux ne subissent plus aucun danger concret, immédiat. Ils en inventent donc pour se faire peur, pour se donner des frissons, préserver leur illusion de régner sur le monde, d’être porteurs de LA civilisation, de LA Vérité (vous notez la majuscule). Ce besoin est, peut-être, la forme actuelle de l’enseignement dispensé depuis plus de 1 500 ans par les christianismes construits autour de l’illusion d’une Histoire centrée sur un personnage (mythique) dont les occidentaux sont les héritiers spirituels, chargés d’une mission sacrée : répandre LA Bonne Parole.

Comme le sentiment religieux au sens strict, est en régression, ils le remplacent par une nouvelle foi en une Science aux injonctions incontournables.

Leur nouvelle religion est le « réchauffement climatique », l’annonce de temps nouveaux précédés de cataclysmes qui n’ont rien d’inférieur à ceux qu’anticipe l’évangile selon Marc (13, 24-32).

Ces désastres apocalyptiques sont nécessaires à des sociétés dont les maladies mortelles en expansion, cancers et troubles cardiaques, résultent d’une obésité, conséquence d’une alimentation boulimique. L’écroulement des « tours jumelles » (un peu plus de 2 000 morts) n’est rien au regard des centaines de milliers de civils broyés sous les tirs américains en Irak, en Afghanistan, mais pour le moral des Occidentaux, ce fut une intolérable agression. Une action politique d’hostilité à la colonisation rampante devint prétexte à une croisade du Bien (les oukases imposés par les Occidentaux) contre le Mal (tout rejet de leurs diktats).

Les Occidentaux sont environ 700 millions ; ils forment approximativement le 1/10 de la population mondiale. Depuis cinq siècles, ils imposent cependant leur volonté à l’ensemble de la planète. Ils sont à l’origine de fléaux qu’ils s’évertuent à combattre. Anglais et Français imposent au milieu du XIXème siècle la prolifération des dérivés de l’opium et leur consommation sans frein, produits toxiques qui ne sont utilisés qu’à des fins médicales par les peuples d’Extrême Orient ; dans l’intérêt mercantile des planteurs britanniques implantés en Inde, ils écrasent à deux reprises l’armée chinoise (guerres de l’opium et traités inégaux). Les Américains, par hostilité envers l’Union soviétique et le plus total mépris du droit des femmes que le gouvernement d’Afghanistan aidé par son grand voisin, tente d’imposer, financent tout ce qui s’oppose à ce gouvernement, tout particulièrement les combattants venus du monde musulman (dont bon nombre de Turcs) à l’appel d’Oussama ben Laden, certains « seigneurs de la guerre ». Le départ de l’Armée rouge laisse la place libre (dans l’imaginaire des pétroliers américains) pour la construction d’un pipe-line à travers ce pays ; les princes de la finance américaine et leurs alliés politiciens semblent avoir négligé que ceux qui risquaient leur vie sous les bombes, les obus à gaz soviétiques, défendaient une cause qui leur était propre.

Ailleurs, il est des pays (fort nombreux) où les gens n’ont pas même un vrai lit, où on ne rêve pas. La préoccupation au réveil n’est pas de savoir pourquoi la planète se réchauffe, mais comment manger dans les minutes qui suivent. Il en est d’autres où l’obésité n’est pas de mise, mais où la question est en s’endormant : « Verrai-je le soleil demain ? A moins qu’une bombe m’ait broyé dans la nuit sous les ruines de ma maison ».

Les émeutes de la faim qui ont marqué le premier semestre 2008, n’ont trouvé d’autre solution que des répressions brutales, des massacres. Les dirigeants de vingt puissances économiques (le G8 : Allemagne, France, Etats-Unis, Japon, Canada, Italie, Royaume-Uni et Russie) ; 11 pays émergents : Argentine, Australie, Arabie saoudite, Afrique du sud, Brésil, Chine, Corée du sud, Inde, Indonésie, Mexique, Turquie ; ainsi que l'Espagne), réunis le 15 novembre 2008 à Washington sur la proposition du premier ministre du Japon et du président de l’Union européenne, ont cantonné leurs réflexions à des déclarations de principe portant sur la lutte contre les dérives du système financier international. La misère des peuples, leur alimentation sont restées ignorées. On note que seule l’Afrique du Sud était représentée ; le reste du continent, de l’Algérie à la Namibie, du Sénégal à la Somalie, est oublié. Pourtant, au Cameroun, on a compté des dizaines de morts en avril 2008, en Egypte, une inflation galopante frappe les produits alimentaires, écrasant la population, des grèves générales ou des émeutes causées par la hausse des prix de ces produits ont éclaté au Burkina Faso, en Guinée, en Mauritanie, au Maroc, au Sénégal, etc. En Côte d’Ivoire, le prix du gazole a subi une augmentation de 44 % en juillet 2008, provoquant une grève des taxis et des minibus (gbakas) et l’arrêt de la plupart des activités faute de moyen de transport ; le 20 juillet, le gouvernement avait atténué les hausses surle gasoil et le pétrole pour les lampes ; au début de novembre, il a procédé à une baisse du prix des carburants et des produits pétroliers. Le 20 juillet 2008, il a adopté diverses mesures (total de 200 milliards FCFA, soit 300 millions d’euros) destinées à réduire la cherté de la vie ; celles-ci bénéficient essentiellement aux fonctionnaires et agents de l`Etat (hausse des indemnités transport) ; rien n’est envisagé pour les sans-emploi qui, par millions sur tout le continent « se débrouillent » dans des activités proches de la mendicité (gardiens de voitures en stationnement) ou le secteur informel (infimes commerces de beignets, de légumes, de parfums), voire la prostitution.

Les Occidentaux qui imposent au reste de la planète le respect sans faille des dogmes élaborés vers 1960 par Milton Friedman et appliqués rigoureusement avec le résultat que l’on sait au Chili par Pinochet, en Russie par Boris Eltsine, etc, ont soin de persévérer dans la subvention de l’agriculture vivrière (PAC de l’Union européenne) et du coton (USA). Ban Ki-moon, secrétaire général de l’ONU, accuse les USA et l’UE de «pénaliser les pays pauvres et de contribuer à l’urgence actuelle», ce qui ne les perturbe pas.
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Dr Claude Garrier
c_garrier@yahoo.fr