lundi 22 décembre 2008

Cet article du Dr Claude Garrier, membre cofondateur du Club Novation Franco-Africaine, a fait débat au sein de notre association. Nous avons tout de même décidé de le publier sur le blog CNFA. Comme indiqué en exergue de son Manifeste, notre Club est une « constellation d’individu et de facettes libres ». Nous avons des ancrages politiques différents et même des divergences, bien que nous ayons décidé de nous unir pour dénoncer le mensonge de la décolonisation franco-africaine. Cette tribune consacrée à la Côte d’Ivoire n’engage donc que son auteur, notre ami Claude Garrier.
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Élections en Côte d’Ivoire

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Claude Garrier



Des élections nationales avaient été annoncées pour le mois dernier ; elles sont repoussées sine die.

Contrairement à l’affirmation tendancieuse de certains commentateurs, les habitants de la moitié nord du pays ne sont pas collectivement « victimes » de cette situation au demeurant regrettable. En effet, moins encore actuellement qu’en 2002-2003, il n’y a de tension « Nord - Sud ». En effet, s’il est vrai que Laurent Gbagbo, bété, est originaire du Centre-ouest et que son épouse, Simone Gbagbo, abourée de Bonoua, vient du littoral, le premier ministre Guillaume Soro est sénoufo comme le président de l’Assemblée nationale, Mamadou Coulibaly, et le président du Conseil économique et social, Laurent Dona Fologo, originaire de Sinématiali. Par contre, il est certain que l’ex-premier ministre, Alassane Dramane Ouattara (il était en fonction en mai 1991, lors de l’agression des gendarmes-commandos contre la cité universitaire de Yopougon où des jeunes filles ont été violées et des garçons bastonnés(1) au motif d’une présumée préférence politique pour Laurent Gbagbo ; il a décidé dès son entrée en fonction la mise à la retraite d’office de tous les fonctionnaires qui avaient accompli trente ans de service et le renvoi sans commentaire ni indemnité de tous les agents « journaliers » de l’État, plongeant des milliers de familles dans la misère(2) : d’excellentes raisons pour qu’une masse importante d’Ivoiriens refuse de le voir accéder au trône, ronge son frein dans l’attente d’une confrontation dont il espère qu’elle le conduira sur le fauteuil présidentiel.

Pour que cette confrontation soit équitable, il est indispensable que la nationalité de tous les électeurs soit certaine. Or, l’héritage colonial comporte une lourde carence : n’en déplaise au chef de l’État français qui avait vanté les mérites de la colonisation dans une allocution mémorable prononcée à Dakar le 26 juillet 2007, l’administration coloniale, malgré la gendarmerie coloniale et l’infanterie coloniale, a été incapable d’instituer et d’imposer un état-civil fiable. On rencontre très couramment des cartes d’identité portant la mention « né vers 1945 » ou autre année du « règne » du colonisateur.
Contrairement à la France qu’un besoin en « petits soldats » a poussé à instituer le « droit du sol » qui permet que tout enfant né en France se voit imposer la nationalité française (Charles Pasqua a partiellement réduit cette obligation en demandant qu’à l’âge de sa majorité, le jeune confirme son désir d’être français), la Côte d’Ivoire est restée fidèle à la tradition la plus usuelle : le droit du sang. On n’est ivoirien que si on est né de parents de cette nationalité.

Une complication supplémentaire a été ajoutée à la « vitrine française de l’Afrique » : ses limites coloniales ont varié : en 1930, le gouverneur Reste, dans le but de favoriser le transfert de Mossi de la Haute Volta vers le sud-est de sa colonie de Côte d’Ivoire, a obtenu que la limite de cette dernière soit repoussée loin vers le Nord ; au contraire, en 1947, à la fois pour complaire à la requête de populations de haute Côte d’Ivoire et pour justifier la création d’une nouvelle circonscription électorale où serait élu un député « dévoué » à la cause coloniale animée et représentée par Marius Moutet, ministre des territoires d’Outre-mer, membre de la SFIO (ancêtre du PS français), la limite sud de la Haute Volta est redescendue au Sud de Bobo-Dioulasso. Il se trouve que les candidats les plus connus de la compétition politique actuelle sont nés pendant cette période. S’agissant d’Alassane Dramane Ouattara, né le 1er janvier 1942, est-il ou non Ivoirien ? Il prétend être né à Dimbokro (près de Yamoussoukro, en pays baoulé). Que vaut cette affirmation dans un pays où il était banal jusqu’à un passé très récent d’acheter (par corruption de l’employé de sous-préfecture et du greffier de la section du tribunal) pour moins de 30 000 FCFA des papiers parfaitement réguliers, transcrits sur les registres de l’état-civil ? Beaucoup plus banalement encore, il est fréquent que les enfants ne soient déclarés qu’en vue de leur entrée à l’école primaire, à l’occasion d’une audience foraine organisée par le magistrat de village en village. En 2000, l’auteur a eu l’occasion de tenir en main les deux cartes d’identité d’un négociant en riz d’Abidjan ; l’une mentionnait sa naissance dans la région de Mopti (Mali) et l’autre, à une date différente mais de la même mère, dans le district de Man (Côte d’Ivoire). Selon son intérêt, cet intéressant personnage (il lui était reproché d’avoir vendu du riz avarié pour la consommation humaine) était donc malien ou ivoirien. Sa situation est loin d’être un cas isolé. Un contrôle sévère assorti d’enquête au lieu mentionné de l’hypothétique naissance est donc indispensable pour chaque électeur et, plus encore, pour les candidats.

Cette difficulté résultant des carences du colonisateur, il est regrettable que ce dernier n’apporte pas les moyens financiers, techniques, etc. indispensables pour la résoudre. Il lui était plus facile d’organiser une conférence à Marcousis et d’y décider d’attribuer le poste de ministre de la Défense au général Gaston Ouassénou Koné, négligeant (par hasard ?) que celui-ci était présumé assassin de Kragbé Gnagbé en 1970, nationaliste insurgé contre Houphouët-Boigny et lointain inspirateur d’une part importante de la pensée politique de Laurent Gbagbo. Il était plus conforme aux intérêts de la caste au pouvoir en France depuis près de vingt ans, d’imposer à Laurent Gbagbo de renouveler de gré à gré les contrats dont bénéficient Martin Bouygues pour l’exploitation des services publics de distribution de l’eau et de l’électricité. Le gouvernement ivoirien s’étant plié aux exigences de la France-à-fric, il conviendrait de lui donner les moyens de toute nature, nécessaires à la saine gouvernance du pays. On rappelle que ce thème avait occupé un ensemble de colloques pendant une semaine en 2001, peu après l’entrée en fonction de Laurent Gbagbo, et que la lutte contre la corruption était le sujet d’une campagne permanente d’affiches depuis cette époque. Ces deux actions visaient à définir le contenu de la « refondation ».

La conception ivoirienne du droit du sang impose de justifier, pour obtenir une carte nationale d’identité ivoirienne, d’être issu d’une famille originaire d’un village inclus dans le périmètre ivoirien défini en 1947, sans que cette précision figure dans la Constitution ; les juristes ont négligé l’Histoire. Convient-il alors de refuser de prendre comme référence la date à laquelle est né le candidat ou l’électeur pour déterminer l’ivoirité du peuple dont il est originaire ?

Par-delà son objet électoral, la détermination de la nationalité en cours a un effet juridique et économique vital. En effet, la loi de décembre 1998, portant sur le code foncier rural, réserve la propriété des terres du domaine foncier rural aux seuls Ivoiriens. Une interprétation erronée de ce texte avait provoqué les pogromes de 1999 et 2000 qui ont poussé des milliers de Burkinabés et de Maliens à fuir et à abandonner les terres qu'ils exploitaient sur le fondement d'accords verbaux au contenu fort vague. Malgré son anachronisme au regard des mesures d'ouverture adoptées par d'autres pays du même continent (Égypte, Maroc, Tunisie etc.), cette loi doit être appliquée littéralement tant qu'elle n'aura été ni amendée ni abrogée. Ceux qui ont été expulsés peuvent tenter de revenir en profitant d'une identité ivoirienne obtenue à l'issue de manœuvres douteuses.

Pour éviter (limiter) les fraudes, l’affirmation du déclarant doit être vérifiée par l’administration, d’où une enquête indispensable. Une difficulté particulière apparaît lorsque le demandeur affirme être né dans une grande ville (Abidjan, par exemple) voire à l'étranger (un enfant de la diaspora) et n'avoir plus aucun lien avec un quelconque village, à supposer même qu'il (elle) se souvienne d'un nom de village évoqué par ses parents. Doit-on alors refuser la nationalité ivoirienne (et les avantages qu'elle comporte) aux enfants de la modernité ?

Le président de la commission électorale indépendante, membre du PDCI, Mambé Beugré Robert, a sagement repoussé la date de l’élection dans l’attente de la présentation de listes électorales intangibles.

La candidature d’ADO à l’élection attendue ne résulte pas de l’application des textes actuels à des faits vérifiés, mais d’une décision de Laurent Gbagbo, destinée à réduire les tensions, autorisant exceptionnellement ADO à se présenter à l’élection présidentielle.

Dr Claude Garrier
c_garrier@yahoo.fr
Notes :
(1) Cette pratique s’est perpétuée sous le règne d’Henri Konan Bédié. Il s’ensuit que des milliers d’anciens dont les enfants, particulièrement les filles, ont été victimes des comportements criminels des « corps habillés » (policiers, gendarmes, etc) sont bien décidés à renoncer au vieux parti, le PDCI, que prétend représenter Bédié, pour voter pour Laurent Gbagbo.
(2) Le Toubabou, Le millefeuille ivoirien, un héritage de contraintes, L’Harmattan, Paris, 2005.
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